Du 1er juillet au 18 septembre, l’exposition Tisser la nature à la Cité Internationale de la Tapisserie d’Aubusson explore les liens unissant l’homme à son environnement à travers six siècles de création. La collection The Great Lady imaginé par le Studio YMER&MALTA s’inscrit dans la continuité de cet art tissé multiséculaire
La scénographie thématique plutôt que chronologique absorbe immédiatement le visiteur dans un dédale foisonnant de nature sauvage ou domestiquée, de fleurs stylisées ou soigneusement interprétées, des forêts profondes et des paysages exotiques. Au fil des siècles, la nature se révèle tour à tour favorable ou hostile, réaliste ou fantaisiste et transmet à travers le temps les rapports fluctuants de l’homme, de sa culture avec son environnement. On y lit la fascination toujours renouvelée de l’homme pour la nature, depuis les Verdures médiévales jusqu’aux jardins mirifiques de Dom Robert. Les techniques et les couleurs s’affinent, les palettes brossent les goûts des époques. Flânant entre ces immenses natures tissées, le visiteur est happé par la monumentalité et constate que depuis le XVe siècle, la tapisserie suit, par la nécessité de son usage, une planéité dont la peinture s’extirpe avant elle. Comme le prolongement naturel de l’histoire de la tapisserie, la collection The Great Lady a transporté la tapisserie dans de nouveaux volumes d’expression esthétique. Tombé du mur pour se faire mobilier, l’art de tisser la nature occupe désormais des espaces jusqu’alors inexplorés.
La tapisserie d’Aubusson en pleine nature
Déjà au Moyen-âge, de fabuleux décors éphémères enchâssaient la tapisserie héroïque, mythologique, parfois même des verdures, dans des frondaisons touffues accrochées aux murs. Le végétal étoffait ainsi les tentures d’une matérialité et d’un relief qui faisaient défaut à la tapisserie. Aussi, le tissu était ainsi rehaussé des nuances volatiles de la nature qui ne seraient que tardivement capturées. C’est ce dont témoigne l’exposition par la mise en lumière des chapelets de fils colorés, élaborés avant le tissage, et qui sont comme la palette du licier.
Sous un abord facile, l’exercice se révèle très délicat. La conception des sept pièces réalisées sous la direction artistique de Valérie Maltaverne en collaboration avec six designers a fait affleurer la difficulté de trouver le ton juste, la note colorée capable de faire écho au songe d’une nature magnifiée. La limpidité bleutée de l’eau glacée, les ombres dentelées et revêches du lichen accrochés aux rochers, la fourrure chaude et musquée d’un ours, les braises rougeoyantes parmi les cendres et les souches tièdes à peine calcinées, la brume enfin, atmosphérique, pâle et pourtant réfléchissante, toutes ont nécessité des centaines d’échantillons jusqu’à ce que la couleur interprète parfaitement les délicatesses de la lumière.
Au-delà des difficultés techniques, ces choix de couleurs en disent long sur le rapport d’une époque à son environnement. Tout au long de l’exposition, le visiteur est d’ailleurs invité à s’y confronter. Si les verdures médiévales étaient le pendant artistique d’un engouement nouveau pour la botanique, si elles donnaient à voir une nature sauvage et intimidante, si la frénésie des découvertes du XVIe siècle accompagnait et prophétisait l’avidité des Lumières à appréhender tout ce qui faisait alors le monde, alors les tapisseries de la collection The Great Lady sont les lectures modernes de notre appréciation contemporaine de la nature. Il ne s’agit plus de porter un regard envieux sur ses richesses mais plutôt d’en admirer la variété aussi bien que la force et la fragilité.
Au nouveau regard scientifique porté par les premiers herbiers médiévaux tissés, YMER&MALTA invoque les nombreuses heures que la directrice du studio Valérie Maltaverne et la licière Catherine Bernet passent à observer les petites pousses afin de saisir et de transcrire par le fil ce qui fait l’essence du végétal. Hommage à la nature sauvage, le cabinet Ours exalte la puissance impavide d’êtres timides régnant pourtant sur des territoires étrangers aux hommes. À l’exotisme rêvé du XVIe siècle, la console Paysage Polaire fait résonner le silence aiguisé d’espaces lointains et givrés. Le végétal gelé craque sur la roche froide, les eaux glacées font miroiter des sommets inatteignables où seuls survivent les mousses et les lichens.
La tapisserie prend du volume : Aubusson rencontre YMER&MALTA
Chaque pièce tissée pour The Great Lady se fait subtilement l’écho d’une étape marquante de l’histoire de la tapisserie et de son rapport à la nature. L’ensemble de sept pièces forme une tenture contemporaine qui ne se contente plus de la muralité d’autrefois.
Plusieurs siècles ont exploré les rapports de planéité et de profondeur dans l’art tissé mais c’est bien grâce à Valérie Maltaverne que la tapisserie trouve enfin l’expression du volume. L’exposition d’Aubusson éclaire ce lent cheminement qui balbutie d’abord l’espace par des semis de millefleurs médiévales. Puis l’époque moderne (du XVIe au XVIIIe siècle) joue la carte de l’illusion en empruntant à la peinture ses perspectives méticuleusement construites. Élégance hivernale, Forest se fait hommage aux somptueux tissages des forêts royales au temps des rois. Désobéissant à ses ancêtres, elle s’écarte du mur et se déroule sur une banquette comme sur les marches d’un trône, et Forest de surpasser la peinture en se faisant trompe-l’œil.
C’est une autre manière d’appréhender les paysages qui se joue au XXe siècle. Les critiques exhorte la tapisserie à ne plus se soumettre aux règles de la peinture et le souvenir des millefleurs du Moyen-âge tisse une nouvelle trame offerte aux modernes. L’exposition trace adroitement ce lien unissant les Verdures aubussonnaises aux luxuriantes tapisseries de Dom Robert. Au XXIe siècle, VueDuCiel se veut comme le souvenir de ces planéités de représentation, si ce n’est que le spectateur est désormais invité à s’y installer. Le banc satiné est ce point de vue surplombant un monde en relief que l’obscurité aplanie.
Entre simplicité et fantaisie, YMER&MALTA rejoue la grande épopée de la tapisserie à travers son thème favori. L’exposition Tisser la nature se joue alors comme le prélude à l’entrée détonnante de l’art tissé dans le XXIe siècle. Les contours presque topographiques des paysages classiques présentés à Aubusson précèdent les innovations insufflées par Valérie Maltaverne aux ateliers des liciers. Le tapis Eau est tissé de points hétérogènes qui créent un mélange de textures imitant le mouvement de l’eau et ses reflets. Il ne s’agit plus d’illustrer mais bien d’incarner le mouvement qui fait la substance même de la nature.
La fantaisie des pastorales chères au XVIIIe siècle est célébrée par le tabouret Le Troupeau dont l’apparente simplicité révèle pourtant une prouesse inédite. Jusqu’alors, la tapisserie était reléguée au rang de garniture de mobilier. Grâce à YMER&MALTA, elle devient pour la première fois de son histoire décor et assise grâce à un tissage construit sur une chaîne faite de fil nautique plutôt que de fil de laine.
Enfin, l’attention toute moderne à la beauté d’une nature quotidienne, presque anodine, prend des allures sculpturales dans le banc Bois Brûlé, tout en nuances de cendres d’un profond noir lavé. Le feu, le bois et la laine font l’éloge d’une simplicité douce où le sommeil des éléments rend leur proximité rassurante et confortable.